La rencontre avec Fifi s’est faite sur un chemin gris et sans lumière. Elle était assise, le regard triste et semblait figée à cet endroit. Je me suis approchée doucement pour ne pas lui faire peur, et lorsqu’elle m’a vue ou senti ma présence, elle a tourné la tête vers moi, les yeux curieux, s’est mise debout, a fait quelques pas dans ma direction et s’est arrêtée à  3 mètres pour me dire :

Je suis bien contente que tu viennes me voir. Depuis quelque temps déjà que je suis assise ici complètement ankylosée, à attendre qu’il se passe quelque chose, je craignais de devoir rester ici encore longtemps.

J’étais sur mon chemin et je préparais mon départ depuis l’été, depuis les fortes chaleurs, et elle n’a rien vu, elle n’a rien compris, et c’était d’autant plus difficile à accepter pour elle. Rajouté à sa culpabilité, aux regrets de n’avoir été là pour m’accompagner, m’empêche de suivre ce chemin si sombre, mais qui je sais, me mènera à la lumière. J’ai besoin d’aide pour faire le passage et je me sens soulagée qu’elle t’ait envoyée vers moi.

Je me suis aussitôt présentée et lui ai expliqué que sa gardienne me chargeait de lui dire qu’elle l’aimait beaucoup, qu’elle avait des messages pour elle, et je l’ai rassurée, qu’après notre échange je la guiderai jusqu’au pont des fleurs.

Merci, merci, c’est ce qui compte le plus pour moi, pour pouvoir enfin me reposer et me ressourcer et pour lui permettre à elle de faire son deuil et de ne plus se torturer l’esprit et vivre dans les regrets. Tant que je reste là, dans ce bas-astral, même si je ne ressens plus aucune douleur, même si mon corps physique n’existe plus, ma pauvre âme est en errance et a besoin, pour survivre, de s’accrocher à elle pour lui pomper son énergie, et j’en suis désolée. Elle n’a pas besoin de ça, elle a déjà tant à faire par ailleurs, elle est obligée de se battre avec elle-même et cela l’épuise bien entendu.

Puis profitant de quelques instants de silence, je lui ai lu les missives de sa gardienne.

J’ aimerais lui dire que je suis désolée de ne pas avoir compris qu’ elle était si gravement malade sinon j’ aurais essayé d’ être plus présente les derniers jours

Je sais que nous n’ avons jamais été sur la même longueur d’ onde et j’ en suis profondément désolée. J’ aurais tellement aimé qu’ il y ait plus de complicité entre nous. Tu étais si craintive

J’ espère que là où tu es, tu es enfin en paix

 

Lorsque j’eus terminé, elle ma regardée longuement l’air confus avant de me dire :

Je sais, notre relation était bien compliquée, elle était ma maman, j’étais sa Fifi et je me suis toujours considérée comme sa fille, son bébé, son enfant, et les regrets concernant notre complicité sont réels. Cela m’a beaucoup marquée aussi, j’aurais tellement aimé être câlinée et être un chat timbre-poste, c’était ma mission auprès d’elle. J’étais là pour lui apprendre le détachement affectif, lui apprendre à aimer d’une manière fluide et sans dépendance ni  codépendance, mais à cause de mes peurs, je n’ai jamais pu remplir mon rôle, me suis toujours tenue à l’écart, prête à m’enfuir, à me cacher et nous sommes toutes les deux passées à côté de beaucoup de choses qui auraient pu me permettre de faire mon travail auprès d’elle et qui nous auraient rapprochées.

Dis-lui merci pour son message et dis-lui que moi aussi je l’aime très fort. Je l’aime d’un amour pur, profond et inconditionnel, je ne lui en ai jamais voulu de ne pas être plus proche et plus fusionnelle. N’ayant pas été sevrée, non socialisée correctement, j’en ai gardé des séquelles et j’étais très craintive. Toujours sur le qui-vive, prête à déguerpir, je me suis contentée de faire un travail de nettoyeur et de m’occuper de ses énergies, de les transmuter ainsi que celles du territoire.

J’étais là et je me suis rendue utile du mieux possible pour nettoyer et harmoniser le lieu. Les peurs, le stress et les angoisses étaient autant de mémoires dues à ce manque de sécurité que j’ai pu connaître et ressentir durant toute mon existence, je me suis faite toute petite et très discrète.

Depuis les fortes canicules je préparais ma transition. J’avais des bobos dus à l’âge bien évidemment, mais aussi mes organes, mon cœur mes reins étaient bien usés. Mon système digestif et mon pancréas n’en parlons pas. Des maux dans tout le corps et le mal me rongeait aussi de l’intérieur. Si tu n’as pas vu ou compris que j’étais sur le départ, c’est aussi parce que fidèle à moi-même, je n’ai pas voulu t’inquiéter, et je suis partie en silence.

Ne culpabilise pas et ne regrettes rien, je n’ai manqué de rien, tu m’as toujours bien nourrie, tu as pris soin de moi et tu m’as toujours respectée malgré la trouille qui me hantait. Je ne peux pas dire que je me suis sentie rejetée ou mal-aimée, non c’était plutôt de ma faute s’il n’y a pas eu plus de rapprochements et d’effusions.

Depuis que j’ai fait le grand saut je ne ressens plus aucune douleur, mais pour me permettre de me reposer et me ressourcer, j’ai besoin de rejoindre le jardin des animaux et je t’en suis si reconnaissante de m’aider à le faire. Gratitude, beaucoup de gratitude à toi, à Christiane, je me sens tellement soulagée maintenant, et je suis heureuse de monter dans ce haut-lieu magique. Et qui sait ? Si le cœur t’en dit, peut-être aurons-nous la chance de nous retrouver dans des conditions plus simples, plus épanouissantes ? Ce sera à toi de décider. Je ne peux pas dire que j’ai été malheureuse à tes côtés, bien le contraire, mais j’avais juste besoin d’un petit coup de pouce pour me sentir plus en confiance, pour stigmatiser ces craintes. Là-haut je me sentirai en paix et je pourrai me réparer, et il me tarde maintenant de partir dans ce magnifique et luxuriant havre de paix.

Puis toutes les deux nous nous sommes avancées sur le chemin gris, qui au fil de nos pas devenait de plus en plus lumineux, et lorsque je me suis arrêtée devant le pont des fleurs, elle s’est empressée de le traverser pour se noyer dans la belle lumière de l’escalier de l’arc en ciel. Au revoir Fifi, paix à ton âme.